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Le Têt dans l’ancienne Hanoï

Hoàng Ðao Thúy (1900-1994), père du scoutisme vietnamien et des Services des transmissions de l’Armée populaire du Vietnam, connaissait Hanoï comme sa poche. Voici comment il évoquait le Têt dans la capitale au début du XXe siècle.

Le printemps parsème déjà de fines gouttes de crachin sur les fleurs roses de pêcher et les fleurs blanches d’abricotier.

Les enfants sont aux anges ! Le jour du Têt, ils porteront des vêtements neufs, ils mangeront à loisir des bánh chung (gâteau carré de riz gluant, farci de viande et de haricots), du gras de porc et des oignons salés. Ils tireront des pétards. Plus d’école ! Et il y aura en plus des étrennes prodiguées par les grands-parents et les parents.

Mais les adultes, eux, sont en général plutôt soucieux. Surtout dans les familles pauvres : les créanciers, impitoyables, réclament leurs dettes avant l’expiration de l’année. Ils envoient des nervis qui n’hésiteront pas à retirer le brûle-parfum sur l’autel des ancêtres, à pisser dessus…

Les familles de condition moyenne sont aussi inquiètes. Grand-père est préoccupé pourquoi il ne sait au juste. Grand-mère endosse toutes les corvées. Depuis le début du 12e mois lunaire, elle a dû aller à un marché de campagne pour acheter, le moins cher possible, du riz gluant et quelques poulets à engraisser. Pour se procurer un cochon de six piastres, elle et ses proches voisines se sont cotisées. Il faut encore acheter du poisson et des feuilles de dong (Phrynium placentarium) pour envelopper les bánh chung.

Les activités significatives

Dès le 1er jour de la 12e lune, grand-père va acheter dans une boutique chinoise trois bulbes de narcisse. Il les laisse tremper dans l’eau toute une journée. Il les taille, en coupe la moitié, puis les plonge de nouveau dans l’eau pendant un temps déterminée. Les bulbes sont ensuite posés chacun dans un grand bol d’eau et exposés au soleil plusieurs jours. Il faut multiplier les soins quotidiens pour modeler le port des rameaux et des fleurs. C’est tout un art que de faire s’épanouir (on dit : sourire) les fleurs juste au cours de la matinée du jour de l’An.

Une autre tâche concerne grand-père : l’achat du pinceau et du papier fleuri pour la cérémonie d’"ouverture du pinceau" (khai bút). Le lettré et l’étudiant tracent les premiers idéogrammes au début de l’année nouvelle. Grand-père n’oublie pas non plus d’acheter du papier rouge pour écrire des sentences parallèles (vœux du Têt).

Si la cour est assez large, on y plante le mât du Têt (cây nêu), perche de bambou de 5 à 6 m au sommet duquel est suspendu un cercle de bambou auquel sont attachés des plaques sonores, des lingots d’or-papier… Sur le sol, on dessine avec de la chaux vive un arc et des flèches pour effrayer les démons.

Le soir venu, des enfants pauvres s’arrêtent devant les portes des maisons. Ils tapent à intervalles réguliers sur le sol un cylindre de bambou contenant quelques sapèques pour rythmer leur chanson : "Súc sac, súc se, tintin tintin. Monsieur, s’il y a encore lumière et feu chez vous, ouvrez-nous la porte ! Sur le lit d’en haut, un dragon se love. Sur le lit d’en bas, un autre vous rend hommage… Vous vivez cent ans plus cinq. Vous aurez des enfants beaux comme des images… Donnez-nous un chapelet de pétard !". La mère ouvre la petite lucarne ronde pratiquée dans la porte pour glisser quelques sous dans le cylindre des chanteurs ambulants qui s’en vont aussitôt.

La mère distribue aux enfants émerveillés les habits neufs tirés de la grande malle familiale. Eux, ils refusent d’aller se coucher. Ils veillent pour assister à la cérémonie de passage à la Nouvelle Année, vers minuit. Toute la ville résonne du bruit de tonnerre des pétards.

Le père allume des bâtonnets d’encens sur l’autel des ancêtres où a été déposé un plateau de victuailles à leur intention. Tous les membres de la famille se prosternent devant l’autel. Puis, on descend le plateau et on se partage le repas du Têt.

Si la nuit est belle, le père et la mère vont à la pagode pour cueillir des rameaux qui apporteront la prospérité (hái lôc) au cours de l’année qui débute.

Le moment des retrouvailles

Le lendemain, jour du Nouvel An, on attend le premier visiteur, espérant qu’il sera porteur de signes fastes pour toute l’année. On s’arrange parfois à l’avance pour inviter une personne comblée par le sort, ayant richesse, honneur, longévité et nombreuse descendance. En attendant, les membres de la famille échangent des vœux.

La grand-mère prend dans sa boîte de bétel des sous neufs enveloppés dans du papier rouge et donne ces étrennes symboliques à ses enfants et petits-enfants.

On allume les bâtonnets d’encens, chacun se prosterne devant l’autel des ancêtres.

La petite famille rend ensuite visite à la famille maternelle, au maître d’école des enfants, au médecin de la famille, aux amis et connaissances. À chaque visite, des vœux homériques sont échangés, entre autres, la naissance d’un fils au début de l’année et d’une fille à la fin s’il s’agit de jeunes époux.

Les femmes se rendent au temple pour solliciter le "papier du sort" (xin lá sô). Agenouillées devant l’autel, elles agitent un tube rempli de plaquettes de bambou jusqu’à ce que l’une d’elles saute et donne le numéro du papier du sort dont le contenu sera interprété par un devin.

Le 4e jour du Têt, on offre un repas d’adieu aux ancêtres. On brûle à leur intention des objets votifs… Chacun reprend ses activités normales avec des cérémonies d’ouverture : du magasin (commerce), du sillon (labour), du sceau (mandarinat), du pinceau (études, création littéraire)… Mais l’esprit du Têt imprégnera encore les fêtes printanières des trois premières lunes. -CVN/VNA/VI


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