Reportage thématique

Les gongs, l’âme du Tây Nguyên

Vivant dans les forêts et les montagnes du Tây Nguyên (Hauts-Plateaux du Centre), les ethnies minoritaire Bahnar, Edé, Co Tu, M’nông, Gia Rai et Ma considèrent les gongs comme leurs trésors, leurs voix et leurs sentiments les plus intimes. Les gongs sont également sacrés car ils les aident à communiquer avec leurs divinités. Dix ans après avoir été reconnu commechef-d'œuvre culturel intangible et oral de l'humanité, l'espace culturel des gongs du Tây Nguyên a en outre démontré ses capacités de relier les visiteurs des cinq continents avec cette terre basaltique légendaire.
L'appel des forêts et des montagnes

Chaque année au Tây Nguyên, le troisième mois lunaire est la saison où les abeilles vont chercher du nectar et aussi la saison des festivités des diverses ethnies. Nous sommes retournés au Tây Nguyên et dans la ville de Buôn Mê Thuôt juste à l’occasion du Festival du café et du 6e Festival de la culture des gongs du Tây Nguyên 2017.
  
Les spectacles de gongs qui ont ouvert le Festival de la culture des gongs à Buôn Mê Thuôt ont été vraiment impressionnants. Autour de feux et de jarres de l’alcool «cân», des troupes des ethnies Xo Dang, Chu Ru, Bahnar, Co Tu, M’Nông, Gia Rai et Ma ont interprété des mélodies folkloriques séduisantes, telles que "Mung lua moi" (Bonheur avec le nouveau riz), "Ta on" (Remerciements), "Vui don khach" (La joie d’accueillir les invités) et "Giu khach o lai choi cùng" (Garder les hôtes plus longtemps)...



L'espace culturel des gongs du Tây Nguyên s'étend sur cinq provinces - Kon Tum, Gia Lai, Dak Lak, Dak Nong
et Lâm Dông. Les minorités ethniques impliquées sont les Bahnar, Edé, Co Tu, M’Nông et Gia Rai.
Photo: Công Dat.



Les groupes ethniques des Hauts-plateaux du Centre considèrent les gongs comme des trésors,
des symboles du pouvoir et de la prospérité. Photo: Công Dat.



Des M’Nông du hameau de Jun, district de Lak, province de Dak Lak jouent des gongs lors d’une cérémonie
cultuelle pour la santé de leurs éléphants. Photo: Công Dat.



Jeune fille Xe Dang jouant du gong lors d'une cérémonie de mise en place de conduites d'eau. Photo: Lê Minh.

Pour les minorités ethniques du Tây Nguyên, ces mélodies sont étroitement liées à la vie des habitants. Les sons suivent les gens de leur naissance à leur mort. Ils sont utilisés dans les rites donnant leurs noms, les rituels pour le nouveau riz, les rites de sacrifice du buffle, les rites d’invocation de la pluie, les cérémonies de mariage et de pendaison de crémaillère... Ce sont aussi les fils ésotériques qui relient le monde terrestre au monde divin.

Les gongs sont des instruments de musique en bronze,  classés en deux catégories: l'une avec un mamelon au milieu et l'autre sans mamelon. Ils sont de différentes tailles, de 20cm à 60 cm voire 90cm et 120cm de diamètre. Ils peuvent être utilisés séparément ou dans un orchestre de 2 à 12, 13, 18 ou même 20 pièces.
Y Thim, un ancien d’ethnie Edé, a déclaré: «Les gongs constituent l'âme du Tây Nguyên. Ils sont toujours avec les gens, de leur naissance jusqu'à leur dernier souffle.».

Pour les Edé, selon Y Thim, les gongs ne sont pas seulement des instruments de musique, ce sont aussi des biens précieux. «Vous n'êtes pas une personne riche si vous n'avez pas de gongs, même si vous avez une belle maison à plusieurs étages et une voiture».

C’est peut-être pour cette raison que Y Thim est considéré comme riche à Buôn Mê Thuôt, parce qu'il possède 20 ensembles de gongs. «Ma maison n'est pas un musée, seulement un endroit où les biens précieux des Edé sont gardés pour nos enfants et petits-enfants, ainsi que pour les étudiants et aussi pour les visiteurs intéressés par notre culture», a-t-il partagé.

Au cours de notre voyage à Tây Nguyên, nous avons eu la chance de rencontrer le patriarche du village de Y Tông Drang dans le hameau de Jun, province de Dak Lak. Un peu émoustillé après avoir bu du ruou cân (alcool qui se boit avec des tiges de bambou), il nous a confié: «Dans le passé, un ensemble de gongs du peuple M’Nông était vendu à un prix équivalent à 7 - 8 buffles. C'était tellement précieux que les gens de M’Nông ne les donnaient et ne les prêtaient à personne».

Pendant notre séjour dans le hameau de Jun, le patriarche nous a montré un rituel pour la santé d'un éléphant dans la maison de Dàng Nang Long. Sorcier et propriétaire d'un troupeau d'éléphants, Dàng Nang Long a révélé que les gens du Tây Nguyên pensent que tout a une âme et que les sons des gongs peuvent appeler et relier les âmes ensemble. Dans les prières pour la santé des éléphants, sans gong, l'âme des éléphants ne sait pas où aller.



Le patriarche Y Tông Drang, du hameau de Jun, district de Lak, province de Dak Lak, teste la sonorité d’un gong.
Photo: Công Dat.



On joue du gong dans la cérémonie d’abandon de la tombe de l’ethnie Joraï. Photo: Archives.


Les artisans folkloriques du Tây Nguyên jouent du gong au Village culturel des ethnies du Vietnam
(Dông Mô, Son Tây, Hanoï). Photo: Khanh Long.



Enfants M’Nông du hameau de Jun apprenant à jouer du gong. Photo: Công Dat.

Dang Nang Long a signalé le début du rite avec des coups de gongs retentissants. Étonnamment, les éléphants sont restés calmes et se sont comportés comme des enfants, obéissant aux cornacs et se joignant au rite sans aucun problème.

Les histoires intéressantes de la culture des gongs de Tây Nguyên nous ont amené dans différentes régions de cette terre légendaire.




Selon un rapport du Département de la Culture, des Sports et du Tourisme de la province de Dak Lak, il existe maintenant 350 troupes de gongs impliquant de jeunes membres formés dans la cadre du Programme 2011-2015 de préservation et valorisation du patrimoine culturel des gongs de Dak Lak. De 2016 à 2020, on accordera plus d'importance aux investissements dans l'enseignement du gong pour les jeunes afin de porter à 500 le nombre de jeunes troupes dans les 608 hameaux du Tây Nguyên.



De nos jours, les gongs sont devenus un produit culturel et touristique particulier. Ils constituent non seulement le fil invisible qui relie les hameaux ensemble et les humains avec les divinités, mais aussi les visiteurs des quatre coins du monde avec ces Hauts-Plateaux.

Lors d'une conférence pour promouvoir l'investissement dans le Tây Nguyên tenue cette année, le Premier ministre Nguyên Xuân Phuc a exhorté l'administration locale à élaborer une stratégie de développement touristique diversifié, en mettant l'importance sur la préservation de la culture locale représentée par la culture des gongs.

Conscientes du rôle des gongs dans le développement culturel et touristique, les autorités des provinces de Lâm Dông, Dak Lak, Gia Lai, Kon Tum et Dak Nông ont récemment pris des politiques pour préserver, maintenir et développer la culture des gongs.

Par exemple, à Da Lat, «capitale» touristique du Tây Nguyên, les visiteurs ont eu la chance non seulement de voir de beaux endroits mais aussi de profiter de spectacles de gongs interprétés par des membres de la minorité ethnique Ma dans la région montagneuse de Langbiang.

Au Festival du café et à celui de la culture des gongs 2017 à Buôn Mê Thuôt, les visiteurs ont également eu l’occasion de profiter de nouveaux produits touristiques autour de la culture des gongs dans quatre anciens hameaux Edé : Kram, Alé, Pan Lan et Kô Sia.



Des touristes essaient de jouer du gong dans un village. Photo: Archives.


Duo de gongs des Xe Dang lors d'une cérémonie de mise en place de conduites d'eau. Photo: Lê Minh.


Touristes étrangers dansant aux sons des gongs dans une Nhà dài (maison longue sur pilotis) de l’ethnie M’Nông.
Photo: Công Dat.

Nous sommes allés au hameau de Ko Sia avec un groupe de touristes japonais pour profiter des spectacles spéciaux des Edé. Nous avons appris qu'il y a seulement trois ans, avec l'aide du Département de la Culture, des Sports et du Tourisme de la province de Dak Lak, le patriarche du village et la troupe de joueurs de gongs du hameau Ko Sia ont organisé un programme culturel et artistique pour les visiteurs souhaitant découvrir la culture Edé. Depuis, diverses entreprises et agences touristiques ont mis en place des circuits vers le hameau de Ko Sia.

L'espace culturel des gongs du Tây Nguyên a été reconnu le 15 novembre 2005 par l'UNESCO comme «chef-d'œuvre culturel oral et intangible de l'humanité». Il s'étend sur cinq provinces: Kon Tum, Gia Lai, Dak Lak, Dak Nông et Lâm Dông. Les sujets de cet espace culturel sont de différents groupes ethniques: Bahnar, Edé, Co Tu, M’Nông, Gia Rai et Ma, et des composants suivants: gongs, pièces musicales pour gongs, interprètes de gongs, rituels et festivals à l'aide de gongs…
Depuis que le tourisme autour des gongs a été développé dans le hameau de Ko Sia, la vie des Edé s'est considérablement améliorée. Aê Yon, hameau de Ko Sia: «le tourisme s’est fortement développé ici. Les femmes préparent des plats traditionnels tandis que les jeunes mettent en place des troupes de chant populaire et les personnes âgées battent les gongs dans des maisons longues communales. Tout cela est très apprécié des visiteurs».

Le hameau de Kô Sia reçoit chaque semaine des dizaines de délégations de visiteurs qui profitent des spectacles de gongs et découvrent les particularités de la culture Edé. La nuit, autour du feu et de jarres d’alcool «cân», les visiteurs peuvent écouter des épopées chantées qui parlent de personnages  légendaires tels que Dam San, Xing Nha, Dam Ji, Khing Ju, M'Drong Dam…

Au cours de notre voyage, nous avons également eu la chance de voyager avec un groupe de touristes français dans le quartier de Lak, à environ 60 km de la ville de Buôn Mê Thuôt. Nous avons profité d'une soirée exceptionnelle de spectacles spéciaux de gongs par les M’Nông dans la maison longue communale dans le hameau de Jun. Les mélodies ont été appréciées des visiteurs européens.

Ce chef-d'œuvre de l'humanité est devenu un véhicule pour faire découvrir les caractéristiques culturelles du Tây Nguyên et aussi une invitation à venir visiter ce lieu riche en traditions culturelles./.

 
Texte: Khanh Long -  Photos: Lê Minh, Công Dat et Khanh Long & Archives de a Revue


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