Le Vietnam s’efforce de construire un système foncier juste et transparent qui soutient à la fois la croissance économique et les besoins de sa population. Avis du Dr Vo Tri Thành, ancien vice-président de l’Institut central de gestion économique et membre du Conseil consultatif national de politique financière et monétaire.
Après un an de mise en œuvre, la Loi foncière de 2024 est en cours de révision. Si elle a apporté des améliorations significatives en matière de décentralisation, de transparence et d’accès à la terre, de nombreux défis sont apparus.
Le gouvernement et les ministères concernés travaillent actuellement à des amendements afin de garantir que la terre continue de servir de fondement à la croissance économique, à la stabilité sociale et à l’investissement.
La terre n’est pas seulement une ressource de développement. C’est aussi une question de moyens de subsistance, de logement et de justice économique. Sa gestion équitable et efficace reste une priorité nationale, mais elle se heurte à de nombreux défis.
La Loi foncière de 2024, entrée en vigueur en août dernier, a introduit des réformes majeures visant à moderniser l’administration foncière, à soutenir les activités commerciales et à renforcer la participation des autorités locales à la prise de décision.
Parmi ses avancées notables, la loi a clarifié les procédures d’attribution et de location des terres. Elle autorise l’utilisation polyvalente des terres dans le respect des normes d’urbanisme, supprime l’exigence d’un certificat d’utilisation foncière pour les demandes d’investissement et transfère aux conseils provinciaux le pouvoir de modifier l’utilisation des terres agricoles. Ces changements ont contribué à améliorer l’accès au foncier pour les entreprises et les citoyens.
Une autre amélioration majeure est la création d’une base de données foncière nationale. La loi exige une coordination entre les agences centrales et locales pour la création et le partage d’informations foncières numériques. Il s’agit d’une étape cruciale vers un système de gestion foncière plus transparent, responsable et efficace.
Malgré ces avancées positives, la loi a également révélé certaines lacunes.
L’un des problèmes les plus urgents est la suppression du système gouvernemental de fixation des prix fonciers. Bien que ce changement visait à refléter les valeurs du marché, il a entraîné des hausses de prix soudaines dans de nombreuses régions. Dans plusieurs provinces, les prix des terrains ont été multipliés par deux, voire par trente, ce qui a rendu difficile l’accès au logement, la conversion des terres ou l’investissement dans des projets.
Ces problèmes de prix ont également pénalisé les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises. Nombre d’entre elles se sont retirées du marché, réduisant l’offre de logements abordables. Ceci, à son tour, a fait grimper les prix sur le marché immobilier.
Les prix des appartements à Hanoi et à Hô Chi Minh-Ville ont atteint de nouveaux sommets, augmentant de 3,5 à 4 fois par rapport à 2019, avec certains nouveaux projets évalués à plus de 100 millions de dôngs (3.850 dollars) par mètre carré.
Des problèmes sont également apparus lors des ventes aux enchères foncières. Certains investisseurs augmentent leurs prix pour ensuite se retirer, faute de prix de départ et d’apports suffisants. Cela perturbe le marché et retarde le défrichement et la réinstallation des terres.
Il existe également une inadéquation entre la loi et la nouvelle structure de l’administration locale. Depuis le 1er juillet, le Vietnam a officiellement adopté un modèle d’administration locale à deux niveaux, supprimant les unités de niveau district. Cependant, la Loi foncière prévoit toujours des règles d’urbanisme à trois niveaux – national, provincial et district –, ce qui crée confusion et retards.
Pour remédier à ces problèmes, entre autres, le gouvernement prévoit de réviser la résolution n°18, qui constitue le fondement juridique de la réforme du droit foncier. Le ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement recueille actuellement les commentaires du public et prévoit de soumettre une loi révisée à l’Assemblée nationale d’ici fin 2025. Si elle est adoptée, elle entrera en vigueur en 2026.
Les modifications proposées comprennent l’adaptation des procédures d’aménagement du territoire à la structure gouvernementale à deux niveaux. Une autre proposition permet à l’État de récupérer des terres dans des cas particuliers, notamment les zones franches, les centres financiers internationaux et les projets répondant à des objectifs politiques ou diplomatiques urgents.
Une proposition clé consiste à réformer le système de tarification foncière. Les méthodes actuelles, fondées sur le marché, s’avèrent peu fiables et difficiles à mettre en œuvre. Le ministère suggère soit d’établir une nouvelle grille de prix tous les cinq ans, soit d’utiliser un coefficient de tarification pour ajuster les valeurs existantes. Ces deux approches visent à stabiliser les prix et à réduire l’influence des fluctuations du marché à court terme.
Parallèlement à ces modifications législatives, une réforme fiscale est également en discussion.
Le ministère des Finances a proposé des modifications à la loi relative à l’impôt sur le revenu des personnes physiques afin de mieux lutter contre la spéculation immobilière. Actuellement, un taux d’imposition forfaitaire de 2 % est appliqué à tous les transferts de propriété, quels que soient le bénéfice ou la durée de propriété. Ce système est simple, mais inéquitable. Elle ne reflète pas le revenu réel et permet l’évasion fiscale par sous-évaluation.
Le projet de loi propose deux nouvelles approches. La première applique un impôt de 20 % sur le bénéfice réalisé lors d’une vente, si le prix d’achat initial et les coûts peuvent être vérifiés. La seconde applique un taux d’imposition variable de 10 à 20 % en fonction de la durée de détention du bien.

L’Association vietnamienne des agents immobiliers (VARS) a soutenu l’idée, mais recommande des directives plus claires, de meilleurs systèmes de données et une communication plus efficace pour garantir un déploiement fluide.
La VARS suggère également d’exonérer les propriétaires occupants, d’ajuster les taux en fonction des priorités sociales et de garantir des audits post-transaction plutôt que des contrôles en amont afin de réduire les délais.
À court terme, les nouvelles règles fiscales pourraient ralentir le marché. Cependant, elles sont considérées comme essentielles pour freiner la spéculation et promouvoir un secteur immobilier plus équitable.
Le ministère de la Construction a également proposé de taxer la différence entre les redevances foncières gouvernementales et les prix de vente réels des projets immobiliers. Par ailleurs, des taxes sur les biens inutilisés ou vacants sont envisagées. Ces propositions visent à réduire la thésaurisation foncière et l’inflation des prix, en particulier sur le marché foncier, où les achats spéculatifs restent courants.
Le foncier est une question complexe, aux objectifs multiples et aux impacts importants sur divers groupes. C’est pourquoi il nécessite une action prudente et bien planifiée.
Tout d’abord, la transformation numérique est essentielle.
Le ministère de la Construction accélère le développement d’une base de données foncière et immobilière intégrée. Il travaille également sur un plan visant à lancer un Fonds national du logement géré par l’État d’ici 2026. Cela permettra de suivre les transactions et de fournir des données fiables aux décideurs politiques et aux investisseurs.
Deuxièmement, l’approche doit être globale. Une série d’outils politiques est nécessaire. Cela inclut la restructuration du marché immobilier, en mettant l’accent sur le logement abordable et le logement social. L’augmentation de l’offre de logements dans ces segments et l’ajustement des plans d’aménagement du territoire, notamment après les fusions provinciales, sont des étapes clés.
Troisièmement, des politiques macroéconomiques appropriées sont également importantes. Il s’agit notamment de la politique monétaire (comme l’assouplissement ou le resserrement des taux d’intérêt, selon la situation) et de la politique budgétaire, assortie de mesures de soutien à l’offre et à la demande. Ces mesures pourraient également contribuer à l’indemnisation foncière et à la réinstallation.
En matière de politique fiscale, si la taxation des transferts immobiliers peut contribuer à freiner la spéculation, elle pourrait s’avérer insuffisante – de nombreux acheteurs détiennent des biens sans les revendre immédiatement –, d’où la nécessité d’élaborer une feuille de route pour la fiscalité foncière, même si sa mise en œuvre n’est pas immédiate, afin d’éviter de perturber un marché fragile.
La politique foncière façonne l’économie vietnamienne, du logement à l’investissement. Alors que les réformes se poursuivent, l’objectif est de mettre en place un système équitable, efficace et transparent, qui soutienne à la fois la croissance et la population. – VNA/VI