Vietnam accélère la création d’un marché domestique de l’IA, visant à transformer le potentiel technologique en valeur économique réelle. Soutenus par des politiques publiques ambitieuses et une forte dynamique d’investissement, les acteurs vietnamiens s’affirment comme de véritables pionniers régionaux.
L’intelligence artificielle (IA) s’impose aujourd’hui comme le « nouveau carburant » de l’économie numérique, redéfinissant la manière dont les entreprises opèrent et créent de la valeur. Pour le Vietnam, la formation rapide d’un marché domestique de l’IA – où les entreprises peuvent développer, commercialiser et concurrencer à armes égales – constitue un levier essentiel pour passer de la phase expérimentale à celle de la création de valeur économique réelle.
Un marché en forte croissance, riche en opportunités
Lors du Forum vietnamien de l’intelligence artificielle – AI360 2025, les experts ont souligné que le Vietnam figurait parmi les marchés de l’IA à la croissance la plus rapide d’Asie du Sud-Est, avec une valeur estimée à 1,52 milliard de dollars d’ici 2030 et un taux de croissance annuel d’environ 20 %. En un an seulement, la proportion d’entreprises appliquant l’IA est passée de 13 % à 18 %, soit près de 170 000 entreprises. En moyenne, cinq nouvelles entreprises adoptent l’IA chaque heure, traduisant un engouement marqué pour cette technologie considérée comme le moteur de la transformation numérique.
Selon le Rapport annuel sur l’intelligence artificielle au Vietnam 2025 de l’Institut des technologies de l’information (Université nationale de Hanoï), l’IA ouvre de vastes perspectives pour stimuler la croissance de l’économie numérique. Les secteurs pionniers dans la fourniture et l’application de l’IA incluent les technologies de l’information, la finance, l’éducation, le commerce électronique et la santé. La demande est particulièrement forte dans la finance (26 %), l’éducation (23 %) et l’industrie manufacturière (21 %).
De l’expérimentation à la création de valeur réelle
Selon Nguyen Van Khoa, directeur général du groupe FPT, si l’année 2023 a été celle des « Proof of Concepts » – les projets pilotes –, 2025 est désormais “The Year of Business Value”, l’année de la valeur commerciale concrète. L’essor de l’IA générative et des agents autonomes (AI Agents), capables d’exécuter des tâches de manière indépendante, transforme profondément les modèles de gestion et d’exploitation. L’IA n’est plus une technologie du futur, mais une énergie nouvelle pour l’économie mondiale, à l’instar de l’électricité ou d’Internet au siècle dernier.
Pour le Vietnam, l’enjeu est de convertir le potentiel en valeur tangible, en comblant le fossé entre développement technologique avancé et application à grande échelle. « Il faut passer de la phase d’essai à celle de la création de valeur économique réelle », a-t-il insisté.
Des politiques de soutien et un afflux de capitaux
En un an, les investissements dans les entreprises vietnamiennes de l’IA ont été multipliés par huit, passant de 10 millions de dollars en 2023 à 80 millions en 2024. Cette progression illustre la confiance croissante des investisseurs dans le potentiel de l’écosystème vietnamien.
Le ministère des Sciences et des Technologies met actuellement à jour la Stratégie nationale sur l’IA à l’horizon 2030 et prépare la présentation du projet de Loi sur l’intelligence artificielle, une avancée majeure pour établir un cadre juridique garantissant un développement transparent, sûr et responsable. Le gouvernement prévoit également d’accroître les dépenses publiques en faveur de l’IA, tandis que le Fonds national pour l’innovation technologique (NATIF) allouera une partie de son budget à la promotion et à l’application de solutions numériques nationales.
Comme l’a souligné Nguyen Khac Lich, directeur du Département des technologies de l’information du ministère, « pour développer l’IA, il faut d’abord créer un marché pour l’IA ». Le marché intérieur doit devenir un tremplin permettant aux entreprises vietnamiennes de croître, d’innover et de s’imposer sur la scène régionale et mondiale.
Des propositions pour structurer le marché
Dans plusieurs pays comme la Corée du Sud, Singapour ou les Émirats arabes unis, les gouvernements jouent un rôle moteur en passant commande aux entreprises afin de stimuler la recherche, le développement et la commercialisation des produits d’IA. Au Vietnam, les grands groupes souhaitent s’inscrire dans cette logique.
Huynh Quang Liem, directeur général de VNPT, a proposé que l’État permette aux entreprises nationales de participer à de grands projets d’envergure, tels que la mise en place d’un système national de GPU, le développement d’un grand modèle linguistique vietnamien ou la création de plateformes d’IA destinées à assister les agents publics. Ces initiatives contribueraient à réduire la dépendance technologique vis-à-vis de l’étranger et à bâtir un écosystème “AI Make in Vietnam”.
De son côté, Nguyen Trung Chinh, président du groupe CMC, a recommandé au gouvernement de préciser rapidement les missions relatives à la construction d’infrastructures de cloud computing et de plateformes de connaissances en IA, par le biais de contrats et de politiques clairs, afin de permettre aux entreprises d’agir en toute autonomie. Il a également insisté sur la nécessité de renforcer la commande publique dans la recherche et le développement (R&D), afin de stimuler les écosystèmes technologiques ouverts et d’encourager l’investissement dans les technologies de base.
Une vision à long terme : de la gestion à la création de marché
Le ministre des Sciences et des Technologies, Nguyen Manh Hung, a annoncé qu’au cours des cinq prochaines années, l’État consacrerait 3 à 4 % du budget national pour mobiliser 10 à 15 milliards de dollars d’investissements sociaux, afin que les trois piliers — science et technologie, innovation et transformation numérique — contribuent à au moins 5 % du PIB.
Le secteur scientifique et technologique vietnamien opérera une transition majeure : du rôle de gestionnaire à celui de catalyseur, passant du contrôle administratif à la création de marché et à la mobilisation des ressources.
Le ministère a proposé trois grands axes de politique. Ce sont de soutenir la commercialisation des produits issus de la recherche via les achats publics et les fonds de la science et de la technologie ; d’accorder des bons de soutien aux entreprises pour innover et expérimenter de nouveaux produits et de confier aux entreprises la construction de plateformes numériques communes à l’échelle nationale.
Grâce à cette vision, le Vietnam s’affirme progressivement comme un acteur émergent d’un écosystème d’IA durable et à identité propre, où les entreprises locales sont à la fois pionnières de l’innovation et moteurs de la croissance de l’économie numérique nationale. - VNA/VI